top of page

"Dans un contexte de diversité, il est tentant de se baser sur nos origines pour essayer de décrypter nos comportements mutuels"

Culture

"Dans un contexte de diversité, il est tentant de se baser sur nos origines pour essayer de décrypter nos comportements mutuels"

« La démarche interculturelle doit se garder de concevoir la culture comme on l’entendait anciennement, c’est-à-dire dictée par le groupe, s’imposant aux individus comme une “transcendance”, mais elle doit la voir comme un processus dialectique : une culture en dialogue avec les autres et avec soi-même, en incessante transformation ».
Emmanuel Jovelin, le travail social face à l’interculturalité, 2002.


Dans un contexte de diversité, il est tentant de se baser sur nos origines pour essayer de décrypter nos comportements mutuels.

Or, l’origine n’est que l’un des très nombreux composants qui forment la culture d’une personne ou d’un groupe.

On sait que untel vient de tel ou tel pays, et on a déjà une sorte de photographie en tête, qu’on le veuille ou non. Ce sont les représentations, les préjugés, la logique du folklore.

Il est courant que nous-mêmes, autochtones ou étrangers, nous identifions à un pays d’origine en disant « chez nous », « chez moi », « dans mon pays » ; nous nous plaisons à naviguer dans des généralités déguisées en traditions.

Ces traditions existent mais ce sont des hybridations depuis la nuit des temps, et non des entités immuables.

Mais c’est agréable parce qu’on est dans le comparatif, on discute, c’est léger.

En effet, nous avons tous besoin de nous sentir appartenir à un groupe, avec ses propres normes et manières d’agir. C’est une manière d’affirmer sa place par rapport à l’autre avec qui on discute.

Pour les personnes étrangères, c’est aussi parfois une façon de réaffirmer une dignité dans cette période d’exil où tout est bousculé.
Mais ce serait sans doute dommage, et parfois dangereux de s’en tenir là.
Car c’est au contraire une très bonne entrée en matière pour discuter encore que d’approfondir ce « nous » aux contours mouvants.

Mouvants, car nous sommes des êtres singuliers, et notre vécu nous a parfois amené à construire notre identité dans une grande complexité face à laquelle notre « culture » de départ semble bien réduite.


« Maudits soient ces enfants de leur mère patrie
Empalés une fois pour toutes sur leur clocher
Qui vous montrent leurs tours, leurs musées, leur mairie
Vous font voir du pays natal jusqu'à loucher
Qu'ils sortent de Paris, ou de Rome, ou de Sète
Ou du diable vauvert, ou bien de Zanzibar
Ou même de Montcuq il s'en flattent mazette
Les imbéciles heureux qui sont nés quelque part »
Georges Brassens, 1972

En effet la culture, tout comme l’identité, est traversée par plusieurs sous-catégories. Au-delà du pays d’origine de la personne, il y a la région, la langue, le statut social, le rapport à la religion, le type d’habitat, les modes de vie, les métiers, les traditions spécifiques, les courants idéologiques, les choix individuels...

Mouvants, parce que même dans un tout petit hameau en France ou ailleurs, il y a eu des invasions, des emprunts culinaires de ci de là, des mariages avec des « étrangers », des exils, des retours.

Toute cette diversité, ces mouvements multidimensionnels, impactent fortement les logiques éducatives et ont pour résultat que deux familles d’un même pays d’origine n’auront parfois en réalité que peu de points communs en matière de parentalité.

Et aussi que deux personnes de pays différents auront des points communs parce qu’autre chose les relie : une génération, un courant de pensée, une forme d’habitat, une langue.
Par exemple, avant la colonisation, l’Afrique était constituée de plusieurs grands empires au sein desquels les groupes culturels n’étaient pas du tout configurés comme la géographie actuelle le dessine.

Une maman explique « J’étais seule à la gare et je vois une dame avec ses deux enfants. Elle est mauritanienne, je lui dis que je n’ai pas où dormir, on discute, elle essaie de m’aider. Au fur et à mesure, je me rends compte que son mari est “Guerzé” comme moi. Lui, il est du Liberia et moi de Guinée, mais nous avons cette langue bantoue en commun. Finalement, je serai hébergée quelque temps chez eux. (…) Je parle le diola, or cette langue est proche du malinké, du bambara, ce qui me permet, même si je suis guinéenne d’être en relation avec des personnes de Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina Faso ».

Lorsque l’on est européen, il est courant de concevoir le métissage des Européens comme une évidence, « Je suis française, mais j’ai des origines espagnoles, mon nom de famille vient de... » mais il est moins facile de visualiser le métissage de personnes venant de continents plus éloignés, d’Asie, d’Afrique, du Moyen-Orient, d’Amérique latine, etc.

Pourtant, parmi les personnes en exil, une part très importante a vécu dans différents pays, a des parents d’origines différentes, parle plusieurs langues, a aussi des noms métissés, « comme tout le monde ».

« Que de fois m'a-t-on demandé, avec les meilleures intentions du monde, si je me sentais " plutôt français " ou " plutôt libanais ". Je réponds invariablement : " L'un et l'autre ! " Non par quelque souci d'équilibre ou d'équité, mais parce qu'en répondant différemment, je mentirais. Ce qui fait que je suis moi-même et pas un autre, c'est que je suis ainsi à la lisière de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles. (…) Parfois, lorsque j'ai fini d'expliquer, avec mille détails, pour quelles raisons précises je revendique pleinement l'ensemble de mes appartenances, quelqu'un s'approche de moi pour murmurer, la main sur mon épaule : « Vous avez eu raison de parler ainsi, mais au fin fond de vous-mêmes, qu'est-ce que vous vous sentez? » Cette interrogation insistante m'a longtemps fait sourire. Aujourd'hui, je n'en souris plus. (…) Lorsqu'on me demande ce que je suis « au fin fond de moi-même », cela suppose qu'il y a « au fin fond » de chacun, une seule appartenance qui compte, sa « vérité profonde » en quelque sorte, son « essence », déterminée une fois pour toutes à la naissance et qui ne changera plus. (…) Et lorsqu'on incite nos contemporains à « affirmer leur identité » comme on le fait si souvent aujourd'hui, ce qu'on leur dit par là, c'est qu'ils doivent retrouver au fond d'eux mêmes cette prétendue appartenance fondamentale, qui est souvent religieuse ou nationale ou raciale ou ethnique, et la brandir fièrement à la face des autres.».
Amin Maalouf, Les Identités meurtrières,1998

Pendant des décennies, les media, les études sociologiques, ont parlé de « double-culture » pour évoquer les jeunes dont les parents étaient venus d’ailleurs.
« Une » culture d’origine, donc, et une « culture » du pays d’accueil ? C’est tout ?
Mais pourquoi seulement « double», et pourquoi double seulement à partir de ce moment-là ?
Chez « eux », n’y avait-il aucun métissage préalable?


« Changer de métaphores pour parler de la tradition et de l’identité me semblerait particulièrement bienvenu. (…). On pourrait suggérer des images capables de définir la tradition non plus en termes verticaux mais en termes horizontaux (…). Au lieu de parler d’arbres et de racines, on pourrait recourir à l’image de fleuves et d’affluents ».
Contre les racines, Maurizio Bettini, 2017.


« Ces enfants, singuliers en première lecture, préfigurent en réalité tous les enfants des sociétés actuelles où les échanges sont nombreux et rapides, où les rencontres sont multiples mais parfois fugaces. Ils sont les figures de proue des enfants de la modernité, de tous les enfants de ce demain où la temporalité va s’accélérer et où la transmission et l’identité devront se penser dans le mouvement et dans la multiplicité. Ce qui est vrai pour une génération devra être modifié, contextualisé, retravaillé afin de pouvoir être transmis, car les changements brutaux des sociétés l’exigeront. Tous les enfants de demain seront des métis ».
Marie-Rose Moro, Enfants ici, Venus d’ailleurs, naître et grandir en France, 2002

bottom of page