« Comment et pourquoi est-il arrivé ici ? Comment et pourquoi arrive-t-on quelque part ? (…)
Exil
« Comment et pourquoi est-il arrivé ici ? Comment et pourquoi arrive-t-on quelque part ? (…) Je ne parle pas de ces choses-là avec lui. Comme moi, Elimane est un exilé. Au premier regard on s’est compris et reconnus comme tels. On a envie de parler de tout sauf de l’exil. De toutes les manières, il n’y a rien à dire à propos de l’exil. Je ne connais pas de sujet plus ennuyeux qui soit au monde. »
Mohamed Mbougar Sarr , La plus secrète mémoire des hommes, 2021
Je fais le ramadan seule avec les enfants.
Pour communiquer avec ma famille, j’utilise une application de téléphone gratuite. Avec maman, et mon frère.
Ma mère a 65 ans. Elle est très malade, elle va tous les jours chez le médecin parce qu'elle mange beaucoup, elle a beaucoup grossi.
Elle travaillait à l'école et maintenant elle ne fait rien.
Mon père est mort, il a été malade, il a eu un cancer il est resté six mois à la maison, mais après, il a eu des soins, il est entré à l’hôpital, et il est mort. Là bas les docteurs ne sont pas fiables, c'est pour ça, je n'ai pas confiance.
Dans mon pays, les médecins font beaucoup de piqûres aux enfants.
A chaque fois que mon fils avait de la fièvre, il avait huit piqûres ! Pour mon dos, j'avais des piqûres tous les jours, mais ça ne fait rien !
Les enfants ne veulent pas retourner là-bas à cause des piqûres.
Et si on appelle les pompiers, on meurt !
Ici, ils sont très bien. Une fois, j'étais malade à la maison, je restais à réfléchir dans ma tête. Ma copine m'a dit « appelle les pompiers », ils sont venus vite !
Je suis en France pour offrir un avenir à mes enfants.
Je connais beaucoup de personnes de mon pays ici mais je ne parle pas avec eux. Parfois ils ne sont pas gentils, je demande de l’aide, et ils disent « je n’ai pas le temps ».
On m’avait dit que les personnes ici n’acceptent pas le foulard et accueillent mal les musulmans, mais c’est faux, ils sont très respectueux.
Marhaban ils m'ont aidée tous les jours, ils sont très gentils avec moi. Myriam, Prisca, Mélanie, les professeurs.
Quand on est partis, notre premier instinct était juste de fuir.
On a dormi à la gare saint Charles pendant trois nuits et après en hôtel. C'était facile pour nous, car en Italie, on dormait à l’aéroport. Pour nous ce n'était rien.
On allait à l'église, nous sommes pentecôtistes. ils nous ont permis de rencontrer la Plateforme (d’accueil des demandeurs d’asile), puis Christine, qui nous a toujours aidés. C’est Christine qui nous a présentés à l’association Marhaban.
Marhaban pour nous, c’est la famille.
Notre but, le plus important, c’était d’être en vie, nous sommes en vie.
Ce n'est pas facile, mais la sécurité pour notre fille était le plus important, tout le reste passe derrière.
Bien sûr ce n'est pas facile de tout laisser derrière. Nous savions que nous devions être forts pour elle. On se disait, « on va souffrir maintenant mais après ça va aller mieux ».
Si tu te dis que ça va être facile, tout va te paraître difficile. Alors que si tu prépares aux difficultés, ça va te paraître plus facile.
Une marche à la fois.
Ce n'est pas possible pour nous de regarder en arrière. On doit continuer tout droit, on doit avancer avancer.
Les gens de notre pays qui sont ici sont différents culturellement de nous du coup on n’en côtoie pas. On n’a pas la même langue, Ils ne sont pas de notre ethnie. On ne se comprend pas, ils sont mal élevés.
Le sentiment de solitude est très très difficile parfois.
Je travaillais dans l’informatique, aujourd’hui je suis cuisinier dans un restaurant, mais ce n’est pas déclaré.
Ici, le travail c’est le travail, tu peux faire ce que tu veux : ingénieur, cuisinier, docteur… c’est pareil. Chez moi je n’aurais jamais pu être cuisinier.
Chez nous, il y a trois classes, high, middle et low.
Mon frère est médecin, donc je devais être aussi médecin.
Au bout de cinq ans, je pourrai faire une demande de papiers avec le travail mais pour ça, j’ai besoin d’un travail déclaré.
C’est difficile de croire ce qu’on vous dit sur les papiers, car autour de vous, d’autres personnes de votre communauté vous disent qu’ils ont obtenu mieux. Il y a des informations contradictoires.
Il y a la loi, et l’application de la loi !
On n’aime pas cette vie de sans-papiers, c’est de la suffocation.
A Marhaban, ils nous aident pour tout, c’est vraiment important. Je suis très reconnaissant envers eux.
C'est ma sœur qui m'a fait venir.
Avant d’arriver en France, je n'avais pas grand chose, mais je faisais des ménages chez les riches. Après, j’ai travaillé dans un petit restaurant.
Ma soeur m'a dit « Viens en France, tu vas trouver du travail »
J’ai trois garçons encore là bas, mais ils étaient tous mariés, grands.
Ils ne veulent pas venir, ils préfèrent rester là bas.
On arrive, on fait sa vie, on apprend la langue. Il faut se rendre compte que ce sont plein de détails différents, pour la tête, c'est trop !
Comme on n'est pas dans notre pays, c'est comme si on devait penser, « Qu'est ce qui va m'arriver, qu'est ce qu'on va manger ? », c'est difficile.
Les mentalités des gens ici, c'est chacun pour soi, on peut être malade, on peut tomber, personne ne va prendre des nouvelles.
En arrivant, moi personnellement, j'étais perdue.
Tout est différent, il n’y a pas le métro d’où je viens. On voit tout ce qu'on n’a pas. Au départ, pour nous, c’était comme un miracle.
Nous, on veut faire partie de la société ici.
Je ne regrette pas d'avoir fait ce choix.
Ma fille, elle a eu aussi beaucoup de misère là bas.
Elle a été très très mal, elle était déprimée, elle est tout pour moi, je ne pouvais pas la laisser comme ça. J'ai dit « prends patience, je vais te faire venir avec moi, on va être ensemble ».
On est venues ici pour travailler, vivre notre vie, quitter les souffrances qu’on a eues.
On a perdu toute notre jeunesse, tout a été bloqué, on a tout gardé dans le cœur.
En venant ici, on voulait ouvrir, on explose, on oublie tout.
Ce par quoi nous on est passé, ma petite fille ne doit pas le vivre.
J’ai grandi dans une petite ville mais quand je me suis mariée j’ai rejoint la capitale de mon pays.
C’est joli mais c’est très dangereux, il y a des bombes, beaucoup.
Je suis chrétienne, c’est très compliqué. J’ai des amis chrétiens, musulmans, moi j’aime tout le monde, parce que moi j’ai vécu longtemps avec les musulmans, tout le monde.
La guerre, c’est ça le problème.
Mon rêve c’était d’aller vers l’Europe…Ici c’est la Liberté.
Là bas je ne pouvais pas m’habiller comme je veux, parler à qui je veux.
Ici, tout le monde est gentil avec moi, on me parle comme une reine.
Mon mari travaille dans une épicerie à Vauban, avant il était dans la sécurité.
On avait une vie très très riche, l’argent. Il travaillait, moi je travaillais aussi, j’étais prof d’anglais au lycée, j’aimais beaucoup mon métier.
Mon père est mort il y a un an, il avait des problèmes de cœur, et il a attrapé le corona. Il est resté trois jours à l’hôpital.
Mon mari travaillait, j’étais toute seule, la mère de mon mari m’a appelée, à 20 heures, elle pleurait, je lui ai dit « pourquoi tu pleures », « papa il est mort », moi j’ai crié, ma fille était petite.
Ma mère, des fois, elle allume une bougie, moi je ne veux pas de photos, parce que quand il était malade il a complètement changé physiquement.
Mon père il avait les yeux comme vous, il avait 68 ans.
Ma fille est née ici . Maman ne l’a jamais connue, et elle ne la connaîtra peut-être jamais, car je n’ai pas le droit de repartir chez moi (statut de réfugiée) et elle, elle ne peut pas venir à cause de sa santé.
Ça me fait trop de peine.
L’école aussi me manque, avec les élèves, mes amis, ma famille, mon père, ma mère…je pleure, je suis triste.
Marhaban, ils m’aident beaucoup ! C’est mon assistante sociale qui m’a envoyée là bas.
Depuis 2015, ils m’aident beaucoup, je vais là bas, discuter, je me sens moins seule.
J’ai une amie ici, elle est marocaine, et elle est comme moi, on mange ensemble. J’ai un ami aussi, il est égyptien chrétien on va à l’église.
Je vais à l’église ici, tout le temps, pour prier, prier pour Jésus.
C’est important pour moi la religion.
J’aime le shopping, mais je n’achète pas beaucoup de vêtements ici parce que je n’ai pas d’argent.